J’ai peur !
En une seule journée, on a vu comment la route Nationale N°3 s’est fracassée en deux comme si c’était la Mer Rouge qui se divisait devant les incantations d’un certain Moïse… Dans la même après-midi, il y a eu un déraillement qui a fait des dizaines de morts avec des centaines de blessés graves.
Alors je vous le dis tout de suite : moi j’ai déjà peur !

J’AI PEUR DE VOYAGER
Avant j’avais peur parce que tu pouvais faire l’accident parce que le chauffeur qui vous conduit était en réalité un chauffard ! Mais même si le chauffeur n’est pas un soûlard, comment tu expliques que la route puisse se fracturer alors qu’il n’y a même pas eu un tremblement de terre ? Hein ? Comment tu peux m’expliquer ça ?
Et ce qui me fait encore peur, c’est que quand tout le monde s’est versé sur la Camrail parce qu’il était impossible de rallier Yaoundé et Douala par la voiture (alors qu’on va bientôt organiser la CAN féminine), les wagons ont été surchargés et ça a provoqué un gigantesque déraillement du train de Bolloré. Résultat : des dizaines de morts (on parle de plus de trois cents), des centaines de blessés (on dit que c’est presque six cent personnes), et des milliers de gens qui vont rester traumatisés parce qu’il n’y a pas de prise en charge psychologique au Cameroun…

J’AI PEUR DE ME SOIGNER
Pourquoi quand ce sont nos ministres qui ressentent le mal de dos ou bien quand ce sont leurs maîtresses qui veulent accoucher, pourquoi ces gens-là partent toujours se soigner à l’étranger ? Hein ? Parce que quand moi j’ai souvent le mal de cœur, j’ai toujours peur d’aller consulter un cardiologue qui n’a jamais vu un cœur avec ses propres yeux ! Ou bien même s’il a déjà vu un cœur avec ses lunettes, il va d’abord me demander si j’ai assez d’argent pour pouvoir payer ma consultation…
J’ai peur d’avoir une insuffisance rénale dans notre pays, car on nous a dit qu’il n’y a plus assez de machines pour effectuer les hémodialyses. J’ai peur d’avoir le Sida, parce que les Camerounais vont me regarder comme si j’étais déjà un mort-vivant. J’ai peur d’attraper un AVC en pleine partie de jambes en l’air, parce que je n’ai pas moi l’argent pour bénéficier d’une évacuation sanitaire comme certains… J’ai peur d’attraper le palu, parce que le paludisme n’intéresse plus personne au Ministère de la Santé. J’ai peur d’arriver aux Urgences parce que je sais que les infirmières ne vont même pas un peu me regarder. J’ai peur parce que souvent il nous manque des seringues dans nos hôpitaux, alors que nous importons pourtant bien les mèches brésiliennes. Souvent il nous manque le vaccin contre le tétanos, alors que nous importons les jolies voitures italiennes ainsi que quelques montres suisses.
J’ai peur parce qu’il n’existe aucun plan de secours au Cameroun !

J’AI PEUR D’ÊTRE ABANDONNÉ
Je ne sais même pas si je suis véritablement un Camerounais dans notre pays-ci ! Parce que si je meurs maintenant-là, je sais qu’on va bloquer la route avec des chaises blanches et avec une longue bâche qu’on aura louées ; et que les gens vont danser et manger jusqu’au lendemain matin. Si je me perds à l’étranger maintenant-ci-là, ou bien si je me fais kidnapper par la soldatesque de Boko Haram, je sais que Paul Biya ne sera même pas au courant de moi (est-ce qu’il sera même d’abord au pays ?) ! Si je pars me plaindre qu’il n’y a plus l’eau dans mon quartier depuis bientôt six mois, et que la lumière vient et ça repart comme c’est venu (les détestages norr), je sais qu’on va me dire d’aller puiser mon eau au marigot comme tout le monde. Hein ? Et que pour la lumière je dois aussi apprendre à utiliser la bougie !

J’AI PEUR QUE LES CAMEROUNAIS NE COMPRENNENT PAS CE QUI SE PASSE
Ce qui me fait vraiment peur parmi toutes ces choses qui me terrorisent, c’est que les Camerounais ne comprennent même pas ce qui se passe. Ils sont là ils rient, ils blaguent, ils font des jeux de mots et des caricatures avec les drames qui se déroulent dans leur propre pays, comme s’ils n’avaient pas encore compris que l’heure est déjà grave ! Ils sont seulement là pour partager leurs selfies sur WhatsApp et sur Facebook. Ils sont seulement là pour dire que « La vraie sorcellerie c’est quand… » Quand quoi ? La vraie-vraie sorcellerie c’est quand une route se divise en deux comme si c’était la mer Rouge, et que vous restiez là sans même vous révolter. La vraie sorcellerie c’est quand on augmente huit wagons sur la locomotive parce qu’on veut multiplier son bénéfice. La vraie sorcellerie c’est quand tu signes un document « Fait à Yaoundé » alors que les gens savent parfaitement que tu es vis à Genève. La vraie sorcellerie c’est quand notre chemin de fer n’a plus été réfectionné depuis 1911 ! La vraie sorcellerie c’est quand les gens souffrent ici, les gens pleurent, les gens meurent depuis bientôt trente-quatre ans que les cyniques-là sont au Pouvoir, et que mes compatriotes passent leur temps à s’exclamer que « On va faire comment ? »
J’AI VRAIMENT PEUR !
Donc le vendredi 21 octobre 2016 à 6h45, j’ai appris que la route Yaoundé-Douala s’était disloquée à cause d’une minguili pluie de rien du tout ! Un crachin. Et comme si ça ne suffisait pas, il y a eu des morts dans l’après-midi à cause d’un déraillement qui a provoqué des centaines et des centaines de victimes camerounaises.
Voilà alors ce qu’on appelle un Vendredi noir !
J’ai peur ! Avant je pensais que mon pays était un paradis, mais maintenant je me dis que le Cameroun n’est plus très éloigné du purgatoire.
J’ai peur des manitous qui dirigent notre Cameroun ! Non seulement ils ne démissionnent jamais, mais en plus ils sont arrogants, méchants, insensibles à la douleur de notre population, et à la limite ils sont machiavéliques.
J’ai peur parce que je ne sais même plus si Dieu est vraiment l’ami ou bien l’ennemi de notre cher pays…
Parce que quand je vois tout ce qui nous arrive depuis des années et des années, et que les Camerounais avalent ça comme si ce n’était rien du tout, c’est cela qui me fait exagérément mal peur ! Le Lac Nyos, la catastrophe de Nsam, le crash de Mbanga-Pongo. L’affaire Monique Koumatékel. Les gens qui se suicident et qui découpent leur concubine avec la machette. Les crimes rituels. Les inondations et les effondrements d’immeubles. Les marchés qui se brûlent régulièrement. La corruption et le banditisme qui sévissent à tous les étages. La Justice qui n’a jamais été juste, ainsi que tous les autres secteurs de la vie publique et politique de notre pays.
Oui, je crois que j’ai de bonnes raisons de vous avouer que moi j’ai déjà terriblement peur.
Ecclésiaste DEUDJUI, je pleure Eséka
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