20 mai 2019

Le 20 mai au Cameroun ou le paradoxe de l’unité nationale…

La fête du 20 mai sera encore célébrée au Cameroun durant toute cette semaine. Et pourtant l’unité nationale est déjà en train de devenir un paradoxe.

 

Paul Biya pendant le défilé du 20 mai
Le président Paul Biya effectuant la revue des troupes lors d’un défilé du 20 mai. Source: actu-plus.cm /Photo reproduite sous autorisation

 

Il n’y a pas d’unité nationale entre les riches et les pauvres

Il n’y a même pas d’unité tout court ! Puisque sur une chaîne de télévision à audience internationale, le ministre du travail (il s’appelle Grégoire Owona) est venu déclarer en mondovision que « le Camerounais moyen peut parfaitement s’en sortir avec les 36 000 FCFA que représente le SMIC. Il peut payer son loyer normalement, rationner son épouse, envoyer ses enfants à l’école et il lui restera même encore de quoi alimenter son épargne. »

Wandaful !

Et c’est pour ça que je dis qu’il y a un énorme fossé entre les riches Camerounais qui sont extrêmement riches, et les pauvres Camerounais qui vont rester indéfiniment pauvres. Puisque les premiers sont non seulement déconnectés et méprisants, mais en plus ils sont si cyniques… Ils disent qu’on a les meilleurs hôpitaux mais ils se soignent toujours à l’étranger. Ils disent qu’on a les meilleures routes mais ils préfèrent se déplacer en aéronef. Ils déclarent qu’on peut « parfaitement s’en sortir » avec seulement 36 000 FCFA de revenu mensuel, et pourtant ça ne paye même pas leur petit-déjeuner lorsqu’ils vont dans un restaurant de luxe avec l’une de leurs petites amies…

 

Il y a la désunion nationale entre le MRC et le RDPC

Elle est même déjà devenue internationale, puisque les Nations-Unies s’en sont saisie, l’Union européenne s’en est saisie, les chancelleries occidentales s’en sont préoccupées jusqu’à le gouvernement camerounais a déjà commencé à demander pardon, pardon, pardon, pardon…

Il y a une désunion irréversible entre le MRC (parti de l’opposition) et le RDPC (parti du président) ! Les deux partis parties ont déjà atteint le point de non-réconciliation. Le président du MRC a déjà commencé à s’acclimater à sa privation de liberté qui dure depuis le lundi 28 janvier 2019, et le président du RDPC n’est pas prêt à l’en désacclimater. Toute l’intelligentsia de l’un a été embastillée par toute l’intelligentsia de l’autre. Et ceux qui sont en liberté sont soit en exil comme le brillantissime Wilfried Ekanga, soit ils écument les plateaux de télévision ꟷet de radio !ꟷ et ils répètent à l’envie que « Maurice Kamto reste et demeure le président élu de la République du Cameroun ».

Maurice Kamto contre Paul Biya
La réconciliation n’est plus possible entre Maurice Kamto (à gauche) et Paul Biya. Montage: lebledparle.com /Image reproduite sous autorisation

 

Il y a une division nationale entre les tontinards et les sardinards

C’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît. Car au départ il s’agissait des militants du MRC contre les nombreux sympathisants du RDPC, mais dorénavant c’est devenu un combat d’échecs entre les partisans pour le changement et les sympathisants pour la perpétuation de notre système…

C’est devenu un combat de chefs ! D’abord sur les réseaux sociaux, mais aussi sur la scène artistique à travers la création de la Brigade Anti-Sardinards (BAS). Et puis il y a des manifestations de la diaspora camerounaise installée là-bas en Europe, et qui réclame le remplacement immédiat et sans conditions de monsieur Paul Biya. Il y a aussi des gens ici qui manifestent pour son maintien ad vitam aeternam au pouvoir. Et on les appelle ici les sardinards. Et on dit que c’est parce qu’ils profitent indirectement de ce régime. Et on dit que parfois ils sont prêts à justifier l’injustifiable (ils disent qu’il n’y a AUCUN problème au Cameroun !). Que tous les tontinards sont originaires de la même et unique région, et d’ailleurs c’est pour cela qu’ils soutiennent majoritairement et inconditionnellement le leader politique qui a été incarcéré…

 

Il y a même la sécession entre les Anglophones et les Francophones

Je suis désolé de le dire, mais il n’y a pas une vraie unité nationale entre les Anglophones et les Francophones au Cameroun ! Sinon, pourquoi est-ce qu’on les appellerait alors les « Anglophones » ? Hein ? Et même si je ne cautionne pas forcément leurs velléités sécessionnistes, je peux bien comprendre qu’ils puissent être frustrés et revendicateurs par moments. Et je me dis qu’on aurait pu éviter cette sale guerre au Nord-Ouest et au Sud-Ouest, si et seulement si on les avait écoutés dès le départ. On aurait pu s’épargner ces dizaines de milliers de déplacés et ces 1 850 morts présumées (même si certains les minimisent), si au lieu de la condescendance et de l’arrogance affichées, notre administration leur avait plutôt opposé des propositions de dialogue. Car l’unité nationale commence par la prise en compte de toutes les couches sociales existantes, y compris celles qui sont minoritaires. Et le non-respect de cette condition peut systématiquement nous entraîner vers la sécession !

 

John Ngute à Bamenda
Le premier ministre John Ngute (en tenue traditionnelle) en déplacement au Nord-Ouest. Source: newsducamer.com /CC0

 

Le 20 mai 2019 au Cameroun ou le paradoxe de l’unité nationale…

Donc cette année encore, la fête du 20 mai va être célébrée sur toute l’étendue du territoire camerounais. Et pourtant l’unité nationale ne ressemble plus réellement à une évidence…

 

Le paradoxe de l’unité nationale ! Tous les Camerounais sont des amis et des frères dans la vie courante, mais il y a des politiciens qui veulent les diviser à travers un favoritisme qu’on appelle « l’équilibre régional ».

Le paradoxe du tribalisme ! Chacun d’entre nous connaît les plaisanteries qu’on raconte sur les autres tribus en rigolant, mais certains manitous sèment la haine en voulant stigmatiser la population bamiléké.

Le paradoxe de la stabilité nationale, puisque nous vivons dans une fausse paix que Pierre La Paix Ndamè a qualifié de « pax camerounaisa ».

 

Parce que depuis 1972 que cette célébration existe, jamais la fête du 20 mai ne m’avait paru aussi incohérente. Puisque nous vivons actuellement dans la désunion nationale, nous vivons dans la suspicion et nous flirtons régulièrement avec le spectre de la désobéissance et de la guerre.

Autant de choses qui me font penser que le Cameroun est déjà complètement devenu un paradoxe.

 

Ecclésiaste DEUDJUI, bonne fête du 20 mai

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Commentaires

SOPHIA
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Très beau billet, ton premier argument me fait penser à une phrase pas drôle du tout de Louis De Funès : “ les pauvres sont fait pour être plus pauvres et les riches pour être plus riches “ une simple blague qui as l’air de prendre tout son sens dans notre pays!