25 avril 2016

Au Cameroun, il y a 23 millions de magistrats

J’ai vu une femme l’autre jour qui se chamaillait avec son taximan ! Il paraît que quand le gars l’a déposée avec toute sa famille, il paraît que l’argent qu’elle a donné ne suffisait pas. Et donc comme les deux ne parvenaient pas à s’entendre, c’est comme ça qu’ils ont commencé à s’insulter et à se menacer à tort et à travers.

Il a fallu l’intervention des soûlards pour que les choses rentrent dans l’ordre…

 

Une bagarre séparée par les voisins du quartier
Une bagarre séparée par les voisins du quartier

 

LE DÉPÔT DE LA PLAINTE

Au Cameroun, les gens ont une drôle de façon de manifester leur mécontentement. Au lieu d’aller rédiger leur plainte et de la déposer dans un commissariat comme les gens normaux tout le monde, eux ils préfèrent plutôt crier dans tes oreilles et ensuite te ridiculiser avec des injures…

Par exemple, ne sois pas surpris si tu vois une fille qui attrape la greffe brésilienne de sa camarade, et qui lui demande que « Tu faisais quoi avec mon mari hier ? » Ne sois pas surpris si un bailleur entre chez toi pour se plaindre de ses locataires, alors que toi tu ne vis même pas dans sa concession ! Ne sois pas surpris si un client s’énerve dans une boulangerie, et qu’il commence à agresser la caissière : « Je ne viens pas de te donner dix mille ? »

 

LA NOMINATION DES JUGES

Nous on n’aime pas la violence hein, tous nos problèmes finissent toujours par se résoudre. Mais on sait que si le taximan dit à la dame-là que « Donne-moi mes 2.500 rapidement ! » et qu’elle lui répond « Si tu ne prends pas les 1.500-ci tu laisses ! », ils vont rester là-bas au carrefour jusqu’à demain matin.

Alors quand un Camerounais se plaint, il cherche d’abord des témoins oculaires. Parfois il recherche ceux qui étaient déjà là pendant le commencement. Et quand il constate que les passants commencent déjà à l’écouter, c’est alors là qu’il hausse correctement le ton. Et puisque les gens d’à côté n’arrivent plus à supporter votre bruyant bavardage, c’est comme ça que certaines personnes deviennent procureurs dans votre propre problème. On ne les nomme pas hein, il suffit juste qu’ils soient charismatiques bien âgés ou alors qu’ils aient un pantalon bien repassé…

 

LE DÉROULEMENT DU PROCÈS

Dans le cas de la courte dame qui s’est engueulée avec son mince taximan l’autre jour, la scène s’est déroulée au carrefour Cour Suprême (ça ne s’invente pas) à Makèpè. Et puisque c’était devant un bar, les juges étaient tout trouvés : c’était un groupe de vieux qui buvaient leur bière autour d’une tablette mal rabotée !

Le premier vieillard a donné la parole au taximan, et il a demandé à la femme de fermer sa large bouche. Ensuite il y a un juge qui a interrogé la dame pour lui demander que « Pourquoi tu refuses de payer les 2.500-là ? »

Entre-temps les badauds s’agglutinaient, les vendeurs de cigarette tendaient leurs longues oreilles pour bien comprendre l’affaire-là, et les membres du jury étaient en train de manger leur plantain tapé avec les brochettes de soya. Et comme le litige-là était très difficile à résoudre puisqu’il n’y avait eu aucune jurisprudence, c’est aussi comme ça que les deux plaignants se baladaient de table en table pour re-raconter leur version des faits.

Parce que chez nous au Cameroun, la Justice est un peu comme la démocratie : celui qui a raison c’est celui qui réussit à convaincre le plus grand nombre de personnes…

 

LE VERDICT DES JURÉS

Finalement ce qui devait arriver arriva, car je vous ai dit que les Camerounais n’aiment pas faire la violence.

Il y a donc un juge qui était déjà pressé de rentrer chez lui, et il a tranché net : « Bon ! Elle va te donner 2.000 francs CFA ! » Et tous les autres soûlards ont confirmé le verdict : « Prends d’abord comme ça, mon gars. Toi-même tu connais les femmes norr ? »

Et ça m’a rappelé quand Pierre La Paix Ndamè avait réussi à calmer une dispute conjugale dans son quartier à Grand Moulin, alors que les bagarreurs voulaient même déjà divorcer. Ça m’a rappelé quand deux coéquipiers se cravatent pendant la Coupe du Monde 2014, et que Achille Webo réussit à maîtriser leur colère. Ça me rappelle quand mes cousins me tensionnent souvent lors de notre réunion familiale, et que mes cousines viennent me chuchoter que « Ce sont tes frères norr ! Est-ce que tu vas fuir ta famille ? »

 

Parfois une petite bagarre dégénère en bagarre générale
Parfois une petite bagarre dégénère en bagarre générale

 

AU CAMEROUN, IL Y A PLUS DE 23 MILLIONS DE MAGISTRATS

Le chauffeur a finalement accepté les 2.000 francs CFA là, en disant que c’est parce qu’il nous respecte trop. Et la femme est partie avec sa famille sans même le regarder, en disant qu’elle avait donné les 2.000-là parce qu’elle nous respectait énormément…

 

Au Cameroun, il y a 23 millions de policiers ! Ce sont parfois des inconnus qui te posent des questions pour savoir ce qui s’est exactement passé.

Au Cameroun, il y a 23 millions d’enquêteurs ! C’est tout le monde qui t’écoute, et c’est tout le monde qui va vérifier si ce que tu racontes c’est réellement la réalité.

Au Cameroun, il y a précisément 23 millions de magistrats ! Puisque les Camerounais nous appellent tous les jours pour qu’on vienne s’intéresser à leurs problèmes.

 

Et c’est comme ça qu’on devient leur juge, leur avocat, leur juré, leur procureur. On leur accorde la parole à tour de rôle, et ils respectent bien cette autorité. On finit même par leur donner la sentence en mâchouillant notre chewing-gum dans notre mâchoire, et eux ils acceptent ce verdict sans discuter.

Et vous savez pourquoi ? C’est parce que personne ne fait plus confiance à la Justice camerounaise…

 

Ecclésiaste DEUDJUI, moi je ne suis pas un magistrat

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