4 septembre 2023

Le coup d’éclat au Gabon

La majorité des Camerounais a félicité le renversement militaire qui s’est déroulé au Gabon. Mais après mûre réflexion, s’agissait-il effectivement d’un coup d’Etat ?


Le renversement militaire au Gabon

Dans la matinée du mercredi 30 août, un groupe de militaires s’est présenté devant les antennes de la télévision présidentielle, pour annoncer la dissolution des institutions. Le porte-parole de ce groupuscule (constitué de membres de la garde républicaine gabonaise) a aussi annoncé l’annulation des élections, et la mise en place d’un comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Dans la foulée, le général Brice Oligui Nguema a été porté en triomphe dans les rues de Libreville, devant une foule en liesse.
Ce « coup d’Etat »  a été perçu par la majorité des Africains comme étant salutaire, puisque la victoire proclamée d’Ali Bongo était très controversée. L’ex-président gabonais était critiqué pour son inaptitude à conserver le pouvoir, lui qui souffre d’un AVC depuis le 24 octobre 2018, et qui était accusé de diriger le pays par procuration.
C’est donc un vent d’enthousiasme qui s’est répandu sur tout le continent, sans véritable condamnation de la communauté internationale. Un coup d’Etat « légitime » venait de renverser un président longévicrate, et on espérait que le CTRI allait enfin positionner le Gabon dans la droite ligne de la démocratie…


Les « bons » coups d’Etat en Afrique

Si je parle de liesse populaire, c’est parce qu’il existe aussi des coups d’Etat qui sont très populaires. On a par exemple vu au Burkina Faso, au Mali, au Niger et en Guinée Conakry, des renversements militaires qui ont paradoxalement été applaudis par les populations de ces mêmes pays.
C’est que, en fait, la plupart de nos régimes dits « démocratiques », ne sont démocratiques que de faciès. Pour le cas du Gabon par exemple, on était dans une lignée qui perdurait depuis déjà cinquante-six ans, avec le père qui a régné pendant quarante-deux ans (1967-2009), et le fils qui vient d’être déboulonné après quatorze années de magistrature ininterrompue (2009-2023). Pire, on avait toute une République (environ deux millions d’âmes) qui était gouvernée par une petite clique d’individus, appartenant soit à la même famille, soit à la région du Haut-Ogooué. Et inutile de vous rappeler que les dirigeants africains ont souvent le don de s’enrichir de manière assez déraisonnable…
Les bons coups d’Etat, ce sont donc ceux-là qui permettent de renverser un plénipotentiaire qui ne pourrait jamais partir de lui-même, puisque maître dans l’art de merveilleusement tripatouiller les élections. Ali Bongo avait par exemple pris la peine de couper internet pendant le scrutin électoral, d’interdire les observateurs internationaux, d’instaurer le couvre-feu, de fermer les frontières territoriales et de bloquer l’espace aérien, de faire proclamer les résultats à 4h du matin lorsque tous les Gabonais somnolaient encore, et que « sa » Cour constitutionnelle le désignait tranquillement comme étant le vainqueur à hauteur de 64,27 % des suffrages…


Le cas du Cameroun

Pourquoi personne ne veut parler du Cameroun ? Lorsque je demande à mes voisins si ce qui s’est passé au Gabon pourrait aussi se reproduire au Cameroun, ils me répondent simultanément « Non ! » Et pourtant c’est clair comme l’eau de roche que nous sommes quasiment dans la même configuration…
Ici au Cameroun, nous avons un président qui va bientôt faire quarante-et-un ans au pouvoir. Nous avons un chef d’Etat sénile, qui ne possède manifestement plus la même fraîcheur qu’à ses 49 ans, lorsqu’il accédait au pouvoir. Nous avons des clans clandestins qui s’affrontent ostensiblement pour se positionner pour la succession. Nous avons des prévaricateurs de la fortune publique, des militaires milliardaires, des amasseurs de butins colossaux qui alimentent la crise anglophone au Nord-Ouest et au Sud-Ouest, bref, tous les ingrédients nécessaires pour un cocktail d’affrontements qui s’annoncent explosifs.
Pourquoi personne ne veut parler de Paul Biya ? Ses protecteurs continuent de clamer qu’il est l’homme de la situation, mais on sait bien qu’ils se dédisent immédiatement lorsqu’ils sont en privé. On continue de présenter ce nonagénaire décrépiscent comme étant le futur candidat pour 2025, lorsque ce ne serait pas son fils Franck Biya qui serait héréditairement mis sur orbite (tiens, tiens, comme au Gabon). Nous vivons sur des relents de frustrations tribales, sur des querelles de terrains qui risquent de nous plonger dans une crise foncière très-très grave, et dans une pauvreté généralisée qui va bientôt nous débarrasser de notre sempiternelle résilience.
Car oui, ce qui se passe au Gabon n’est pas exclu de se reproduire ici au Cameroun…


Coup d’Etat ou coup d’éclat ?

Mais en réalité, était-ce réellement un coup d’Etat ?
Parce que s’il faut bien voir, cela ressemblerait plutôt à un jeu de chaises musicales. On aurait plutôt assisté là à une révolution de palais, déguisée sur fond de restauration de l’ordre démocratique, et le peuple gabonais aurait été berné sans pour autant en avoir eu pour son argent…
Peut-on réellement parler de coup d’Etat lorsque, quelques heures seulement après sa prise de pouvoir, le général Brice Oligui Nguema s’exprimait déjà gaillardement à travers les colonnes du journal Le Monde ? Peut-on réellement parler de putsch, de renversement ou encore d’alternance, lorsque le nouvel homme fort est le fils de la cousine de l’ancien président Omar Bongo, qu’il est originaire de la même région que le président qu’il aurait soi-disant « renversé », et qu’il fait partie intégrante de l’élite administrative qui dirigeait le Gabon depuis plusieurs décennies ?
Et puis, si ce comité transitoire était vraiment là pour la refondation et la transition, pourquoi n’a-t-il pas recompté les résultats, et proclamé le nom du réel vainqueur de ces pourtant récentes élections présidentielles ? Pourquoi dissoudre toutes les institutions, et puis les restaurer uniquement pour que le général-président puisse immédiatement prêter serment ? Quelle crédibilité peut-on accorder à ce type de mouvement ?
Et à la fin, nous ne sommes plus dupes. Il s’agit d’un clan d’une même clique qui a renversé un autre clan de la même clique, pour s’adjuger définitivement le pouvoir. Le général Oligui Nguema avait ses entrées dans les arcanes du palais du bord de mer, lui qui en était le chef de la garde présidentielle. On le dit d’ailleurs très proche de la sœur du président déchu, la bien sulfureuse Pascaline Bongo. Et nul doute que la « transition » dont il est dépositaire sera manifestement plus longue que la durée d’un mandat présidentiel ordinaire…


Malika Bongo félicite Brice Oligui Nguema sur Twitter
Malika Bongo, la fille d’Ali Bongo, a félicité le nouveau président Brice Oligui Nguema sur Twitter. Source: Twitter /CC-BY

Le scoop d’Etat au Gabon

Donc la majorité des Camerounais (y compris mon ami Pierre La Paix Ndamè) a félicité le renversement militaire qui s’est déroulé au Gabon. Mais après maintes réflexions, s’agissait-il effectivement là d’un coup d’Etat ?

Le coup d’éclat du Gabon ! Le vainqueur de l’élection présidentielle s’appelle Albert Ondo Ossa, 69 ans, mais le nouveau président du Gabon se nomme Brice Clotaire Oligui Nguema, âgé de 48 ans.
Le coup d’éclat de la France ! Parce que malgré les apparences, ce simulacre de renversement semble pourtant avoir été orchestré par la métropole, elle qui voulait absolument préserver ses intérêts politico-économiques dans ce pré carré.
Le coup d’Etat au Gabon est une actualité inquiétante qui pourrait se reproduire au Cameroun, même si chacun de mes voisins préfère répéter que « Cela est totalement impossible ! »

Parce que nous avons un président qui est complètement fatigué, nous avons un code électoral qui est inéquitable et injuste, et nous vivons sous un régime qui est minimalement très répressif. Nous n’avons aucune chance d’accéder à l’alternance par les urnes, d’ailleurs nous n’avons même pas la simple liberté de manifestation.
Alors oui, un coup d’éclat au Cameroun n’est indiscutablement plus à exclure…


Ecclésiaste DEUDJUI, il n’y a pas eu coup d’Etat au Gabon
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