L’expérience du deuil

Article : L’expérience du deuil
Crédit: Ecclésiaste Deudjui
20 septembre 2021

L’expérience du deuil

Le deuil n’est pas seulement la disparition d’un être cher, c’est beaucoup plus compliqué que ça. C’est aussi l’expérience d’une aventure mortuaire et la préparation à une nouvelle vie pour ceux qui vont rester vivants…

rassemblement de deuil au village
Le deuil est aussi un moment de retrouvailles et de partage au village. Crédit photo: Ecclésiaste Deudjui /CC-BY

L’expérience de la mort

La mort est toujours douloureuse, quelle qu’elle soit. Et à fortiori lorsqu’elle concerne un être très cher qui vous a quittés sans pouvoir au moins vous dire au revoir…
Moi je suis en deuil depuis le jeudi 26 août. Un être extrêmement cher ! J’avais appris son décès par un simple SMS de mon petit-frère, et immédiatement je me suis mis à pleurer. La mort a surtout ceci de particulier. Elle transforme les vivants, beaucoup plus même que les morts. Et puis on réalise que l’on ne reverra plus jamais ces derniers jusqu’à la fin de nos jours. On commence parfois à regretter nos erreurs, nos disputes, nos incompréhensions, nos conflits. La mort est un état irréversible et incompréhensible qui, pour moi, demeurera toujours un mystère aussi inexplicable.
Bref, une expérience vraiment très douloureuse.

L’expérience de la morgue

Ensuite, il y avait eu la morgue. Le voir enseveli dans un linceul… Le voir manipulé sans ménagement par des morguières… Le voir frigorifié dans un congélateur… Le voir finalement enfermé dans un cercueil…
Si on n’y est pas préparé, on peut très facilement s’évanouir. L’expérience de la morgue est réellement une rude épreuve. C’était la première fois de ma vie que je voyais ma personne, un être extrêmement précieux pour moi et aussi indispensable, devenir la propriété exclusive de parfaits inconnus… Tsuip !
La morgue m’a enseigné que notre carcasse qui nous sert de corpuscule n’est en réalité qu’une coque ou une carapace. Car après le décès, elle ne devient qu’une enveloppe charnelle sans aucune consistance. Notre personnalité n’est plus là, ou, on l’espère, elle demeure renfermée dans l’ectoplasme imaginaire de notre esprit.
Et puis il y a eu la levée de corps. Et puis il y a eu des regards de tristesse. Et puis il y a eu des pleurs et des sanglots. Et puis il y a eu la présence du cercueil qui confirmait que cette disparition indésirée était véritablement définitive, et qu’il fallait que nous nous apprêtions à lui dire non plus seulement un au revoir, mais un adieu !
C’était aussi une sacré expérience de lui dire au revoir pour de bon…

Ecclésiaste Deudjui et Cécile Nguemaleu
Personne ne nous ramènera jamais les personnes disparues. photographie: Trésor /CC-BY

L’expérience de l’enterrement

Nous l’avons enterré dans la stricte intimité du cadre familial. Pas parce que c’était voulu hein, mais à cause de certaines contingences : la pluie, le retard, la difficulté de la route, le calendrier. C’était en pleine période de rentrée scolaire, et les parents d’élèves devaient rentrer dans leurs citadelles afin de terminer ou de poursuivre leurs diverses inscriptions académiques.
Nous l’avons enterré derrière la maison familiale, pour respecter ses dernières volontés. Ces dernières années il s’était incroyablement rapproché de son village natal, Badoumka, et il voulait absolument se rapprocher aussi de ses ancêtres. Sa mère d’abord, que personnellement je n’ai jamais connue, mais dont il me disait tellement de bien ! Et puis son père, que lui-même n’a pas si bien connu que ça, puisque celui-là avait plusieurs femmes, plusieurs enfants, plusieurs chefferies, plusieurs descendances…
On l’a donc enterré dans le strict cadre de l’intimité familiale, et une fois de plus j’ai versé une grosse larme. C’était l’une des personnes les plus importantes de ma vie —peut-être même la plus importante—, et malheureusement je ne le reverrai plus jamais. J’ai quand même eu la force de regarder les gens l’ensevelir de terre rouge et de ciment, et je me persuadais que le plus important, il l’avait déjà réalisé de son vivant. Car l’enterrement est une séparation physique, certes, mais elle doit aussi nous rappeler ce que les partants avaient laissé pour nous, et particulièrement comment est-ce qu’ils ont impacté sur notre spiritualité et sur notre façon de percevoir l’univers…

L’expérience de la vie

Je suis encore vivant ! Enfin, pour un moment. Parce que tôt ou tard, nous y passerons tous. Je pense même que la mort nous fait pleurer parce qu’elle est inéluctablement un passage obligatoire. Je pense aussi que lorsque quelqu’un meurt, c’est nous aussi qui mourons un peu. Je suis bien conscient que la mort de ce personnage extrêmement précieux pour moi était prévisible, mais curieusement je n’arriverai jamais, au grand jamais, à m’y faire…
Drôle d’expérience que de vivre, alors que nous n’avons jamais rien demandé. Drôle d’expérience que de mourir, alors que nous ne savons pas où est-ce que nous allons. Et au final la mort peut apparaître comme une sorte de renaissance, si on essaie de comprendre comment mieux l’appréhender. La mort peut vite devenir un signal, une alerte, un avertissement. Elle peut nous suggérer de mieux profiter de nos instants de bonheur, et de mieux savourer la présence des personnes qui nous sont proches comme mon meilleur ami Pierre La Paix Ndamè. Elle peut aussi ressembler à un déclic, si elle nous fait comprendre que nous devons absolument devenir meilleurs. Elle peut parfois signifier que nous devons dorénavant négliger les disputes futiles et les comparaisons inutiles, voire même ne plus se consacrer stupidement à la course effrénée vers la richesse matérielle.
Parce que tous ceux qui s’en vont, qu’est-ce qu’ils emportent avec eux, en réalité ? Rien du tout !

procession des enfants de Deudjui Célestin
Nous avons effectué des processions pour rendre hommage à l’illustre défunt. Crédit: Ecclésiaste Deudjui /CC-BY

L’expérience des obsèques

Donc le deuil n’est pas seulement la disparition d’un être cher hein, d’ailleurs c’est beaucoup plus compliqué que ça. C’est aussi l’expérience d’une aventure funéraire et la préparation à une nouvelle vie pour ceux qui vont rester parmi les vivants…

L’expérience de la tombe ! Il s’agit d’un lieu symbolique où reposera la dépouille mortuaire du défunt, mais aussi d’un endroit qui permettra aux personnes endeuillés de pouvoir régulièrement s’y recueillir.
L’expérience de la veillée ! Son objectif c’est de rendre hommage, bien sûr, mais en réalité la seule chose que la famille demande au cadavre c’est de pouvoir au moins se réveiller ou ressusciter.
L’expérience des funérailles, parce qu’il y a des morts qui vivront toujours dans notre cœur durant le restant de notre vie !

Puisque depuis le jeudi 26 août 2021, je suis devenu un homme complètement différent. J’ai connu l’expérience de la mort comme aucunement auparavant, puisque je n’avais jamais perdu quelqu’un de plus cher que ce jour-là. Mais comme cela fait partie de la vie, je dois bien involontairement l’accepter. Même si ce deuil est une triste expérience dont j’aurai vraiment voulu me passer bien volontiers…

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Commentaires

Magne
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Chaque début a une fin Malheureusement, les choses marchent 2 à 2 comme le oui et le non,le jour et la nuit, etc.....