Je vous parlerai d’un temps qu’ils ne peuvent pas connaître…
Je suis né en 1982 et donc je fais partie de la génération Y. Mais quand je discute avec un adolescent camerounais d’aujourd’hui, j’ai la curieuse sensation qu’on n’arrivera jamais à se comprendre.
Parce que je lui parlerai d’un temps et d’une époque qu’il n’aura plus jamais l’opportunité de connaître…
Je vous parlerai de la drague
Aujourd’hui c’est devenu facile de baratiner une fille au Cameroun parce qu’il y a désormais Facebook et Instagram, mais il y a surtout WhatsApp et Messenger ! Et pourtant dans les années 1990 hein, c’était vraiment difficile jusqu’ààààààà…
Moi par exemple quand j’avais dragué Donatella à Ndikiniméki, j’étais parfois obligé de lancer plusieurs cailloux sur la toiture de leur maison avant qu’elle ne sorte pour vérifier si c’était effectivement moi. Et même quand je faisais Terminale à Bafoussam, je n’avais pas de téléphone et donc je pouvais rester devant le portail d’une fille du matin jusqu’à la tombée de la nuit…
À notre époque, les garçons et les filles ne possédaient pas de smartphone ni de tablette. On ne voyait pas les cuisses des filles comme on voit ça aujourd’hui facilement gratuitement dans la rue. Les filles n’étaient pas encore matérialistes comme celles d’aujourd’hui. On pouvait courtiser une demoiselle pendant des semestres et des semestres, avant –éventuellement !– de pouvoir recevoir son approbation (elles étaient toujours en train de nous dire que « Je vais réfléchir »).
Google n’était pas notre meilleur ami
Nous avons découvert internet à l’orée des années 2000. Et je me rappelle que pour créer ma première boîte électronique (e.deudjui@caramail.com), ça m’avait coûté trois mille francs CFA dans un cybercafé ! On surfait sur le web à raison de 1 000 FCFA / heure, et je me souviens que la plupart de nos visites étaient surtout effectuées sur des plateformes pornographiques.
On n’avait pas encore la connaissance à portée de main comme les adolescents d’aujourd’hui. On ne connaissait pas encore Google. Il n’existait pas encore le métier l’activité de blogueur. On se rendait à pied dans les librairies et dans les bibliothèques. On feuilletait encore les gros dictionnaires. On avait des camarades qui se cultivaient dans les encyclopédies que leurs parents avaient disséminées dans de grosses armoires, et c’est de cette manière-là que nous nous renseignions sur les curiosités de ce monde.
Il n’y avait pas encore le câblage ni la télévision numérique par satellite comme aujourd’hui, mais nous entendions quand même parler de la Guerre Froide. La CRTV ouvrait ses antennes vers 18h30, et elle les refermait toujours avant minuit. Les politiciens les plus célèbres étaient Kadhafi, Bill Clinton, Mobutu, Sankara, Saddam Hussein, Idi Amin Dada, Margareth Thatcher, Fidel Castro, Mikael Gorbatchev, etc.
On entendait aussi parler d’un certain Paul Biya qui était nouvellement élu chef de l’État, mais personne ne pouvait imaginer que ce type-là serait encore président aujourd’hui en l’an 2019 !
On ne se plaignait pas vraiment du franc CFA
Quand j’avais dix ans à l’époque, je pouvais me nourrir avec cinquante francs CFA : j’achetais le demi-pain à 30 FCFA et puis je le chargeais avec le haricot de 20 FCFA. Et le plus curieux hein, c’est que cela me rassasiait !
On nous parlait à la radio de la dévaluation du franc CFA qui venait encore de perdre de la valeur, mais nous ça ne nous concernait pas directement. On utilisait encore les pièces de 5 francs et aussi celles de 10 francs pour acheter les bonbons et les caramels. Tu pouvais regarder un film au vidéo-club avec 25 FCFA seulement, même si c’était un film porno ! Tu pouvais inviter une fille dans ta chambrette et tu lui offrais le jus avec le pain-haricot comme je t’ai expliqué tout à l’heure, et tout cela te revenait à moins de 300 FCFA seulement !
On ne parlait pas encore du panafricanisme ni de la création d’une monnaie sous-régionale. On ne parlait pas de l’absence de devises. Nos travailleurs étaient correctement payés et ils partaient dépenser leur argent dans les circuits et dans les « chantiers ». Je n’étais même pas encore un adulte hein, mais j’ai l’impression que les salariés de cette époque-là étaient vraiment mieux entretenus que les Camerounais de la génération actuelle.
Kylian Mbappè n’était pas notre idole
Nous on avait des divertissements qui n’avaient rien à voir avec tous ceux d’aujourd’hui : on ne connaissait pas les réseaux sociaux, on ne jouait pas aux jeux-vidéos, on ne se photographiait pas régulièrement mais surtout on ne se bousculait pas devant les kiosques de jeux de hasard…
Je ne prétends pas que notre époque était la meilleure, mais elle était différente ! Car au lieu de Kylian Mbappè nous avions Diego Maradona. Au lieu de Nyangono du Sud nous avions Michael Jackson. Au lieu de Moustik Le Karismatik nous avions Jean-Miché Kankan. Au lieu des séries brésiliennes nous avions les films hindous. Au lieu de Pascal Siakam nous avions Michael Jordan. Au lieu de Jet Li nous avions Jackie Chan. Au lieu de Francis Nganou nous avions Mike Tyson. Au lieu de Clinton Njié et de sa sextape devenue virale, nous on avait les posters de Petit-Pays qui s’était filmé sans caleçon sur la pochette de l’un de ses albums…
Nos divertissements n’avaient rien, mais alors rien à voir avec ceux d’aujourd’hui ! Puisque nous on simulait le jeu de football avec les capsules de bière. Nous on visait les câbles électriques de la Sonel avec les tessons de bouteille et quelques pierres. Nous on attaquait les goyaviers et les manguiers à l’aide de petits morceaux de cailloux. Nous on jouait au pousse-pion avec les tchantchouss, on se mélangeait dans le marigot avec les filles qui avaient accepté de venir se déshabiller devant nous, et puis le lendemain on recommençait à pratiquer le jeu de Papa et Maman avec ces mêmes fillettes…
Je vous parlerai d’une époque qu’ils ne pourront jamais connaître…
Donc comme j’expliquais, je suis de la génération Y et on nous appelle aussi les Millenials. Je ne suis né entre 1980 et les années 2000 (comme mon ami Pierre La Paix Ndamè). Mais quand je discute avec un adolescent camerounais d’aujourd’hui, je suis perturbé de constater qu’on n’arrivera jamais à se comprendre…
Je vous parlerai d’une éducation qu’ils ne peuvent pas connaître ! À l’époque on nous fouettait à l’école avec une grosse chicote en caoutchouc (les enseignants avaient encore ce droit-là), on nous demandait d’effectuer nos exercices sans calculatrice, et ensuite nous assistions à des cours d’éducation civique ou bien de morale.
Je vous parlerai d’une culture qu’ils ne peuvent pas connaître ! Parce que nous on lisait des écrivains comme Mongo Beti, nous écoutions des musiciens comme Dina Bell et nous admirions des comédiennes comme la brillantissime Joséphine Ndagnou (alias Ta’a Zibi).
Je vous parlerai d’une époque qu’ils ne pourront jamais percevoir, tout comme nous aussi nous n’avons pas connu l’époque des aînés qui nous ont précédés.
Parce que quand moi je devenais un adolescent ici au Cameroun, nous on jouait régulièrement au cache-cache et à la balançoire. Nous on regardait les Tortues Ninja et les Barba-papas à la télévision nationale. Nous on demandait à nos parents que « Papa, pourquoi tu as beaucoup les cheveux comme ça ? », et lui il réajustait son afro en me répondant que c’était comme ça la mode à son époque, tout comme sa salopette et aussi ses énormissimes pattes d’éléphant.
Mais ça ne sert à rien de vous raconter tout ceci puisque les jouvenceaux de maintenant ne voudront jamais réellement me comprendre.
Ecclésiaste DEUDJUI, c’était ça mon époque
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