Faits divers: tous les Camerounais sont des sanguinaires !
On rit comme ça hein, mais les Camerounais sont des vampires !
Je suis parfois frappé que nos journaux télévisés commencent par des accidents de circulation. Je suis souvent interloqué quand dans la presse nationale, ce sont les histoires de sorcellerie qui occupent la page de couverture. Je suis toujours très déconcerté quand dans nos films, sur les réseaux sociaux et dans nos radios, ce sont les affaires de meurtres, de mœurs, de trafics d’organes et de mysticisme, qui ont la cote ici dehors…
La société camerounaise est pervertie ; pas à cause de la pornographie, mais à cause de la sauvagerie.
Il n’y a qu’à voir dans nos vidéos-clubs (il n’y a plus de salles de cinéma) : nos adolescents adorent les scènes d’éventration, ils adorent les scènes d’édentation. Ils sont même capables de manger leur pain chargé pendant un film d’horreur…
Nous sommes tous des sanguinaires, et c’est déplorable. C’est pourquoi les histoires comme celles de Vanessa Tchatchoua ont eu un succès médiatique. Qui avait volé son bébé ? Hein ? Nous aimons les histoires morbides, et c’est pourquoi nous regardons les émissions comme Regard Social qui nous exhibent les sujets tabous, les faits divers, et qui nous exposent des malformations physiques de certains Camerounais.
Nous aimons entendre qu’il y a des crimes rituels à Mimboman, que là-bas on enlève les parties des filles et qu’on part les revendre à l’étranger. Nous aimons les choses mystiques, nous aimons le monde irrationnel. C’est pour cela que le livre de Charles Ateba Eyéné (La dictature des loges…) a été un best-seller.
Comme Petit-Pays avait dit, c’est dans le sang. Et donc, chaque fois que je suis dans un bus camerounais, je regarde vers le sol et je me secoue la tête. Qu’est-ce que nous cherchons même au juste ? Il suffit que le chauffeur ralentisse un peu, pour que tous les passagers se lèvent de leur siège, en espérant qu’il y a eu un accident au-dehors. Et puis c’est des mains sur la tête, c’est des « j’avais bien dit que la voiture-là roulait à vive allure », c’est des bavardages à n’en plus finir, sans aucune compassion, mais avec une espèce d’assouvissement, de soif étanchée, de ce sentiment bizarre que Florian Zeller a appelé La fascination du pire…
Je ne veux pas être de ce monde-là, je suis une âme sensible. Je suis encore de ceux qui refusent de participer aux justices populaires. Tu sais, la justice où on déchiquette un être humain en pleine rue, et où tout le monde lui lance des pierres à la figure. Moi je refuse ça, je suis contre. Je ne suis pas un sanguinaire. Je suis de ceux qui ne fantasment pas sur les conteneurs qui ont écrasé les bendskineurs, ou sur les cargos qui ont jeté leurs passagers dans une rivière à PK8.
Je suis de ceux qui pensent que le camion qui avait éradiqué les usagers à Ndokoti, eh bien ce n’était pas du tout un truc à voir !
Mais nous sommes rares, malheureusement, dans ce pays qui a le goût du sang. Nous sommes rares à revendiquer une éthique plus juste, et à réclamer que nos enfants soient épargnés par de telles images. Nous sommes une minorité à demander que les journaux télévisés commencent par un vrai journal, et que les histoires macabres soient diffusées dans une tribune qui s’appellerait alors « Faits Divers ». Je parle des maisons qui s’effondrent, des élèves qui entrent en transe, des fillettes qui avortent, des villageois qui étêtent leur propre frère, des trains qui déraillent, des inondations, des éboulements… et des pères qui (ac)couchent avec leurs propres filles…
Tous les Camerounais sont des sanguinaires, je t’ai dit ! Tous les Camerounais peuvent regarder un accidenté grave en buvant tranquillement leur bière. Tous les Camerounais vont te dire en rigolant que leur voisine est décédée, en accouchant. Tous les Camerounais vont te dire que les morguiers de nos hôpitaux couchent avec tous leurs cadavres. Tous les Camerounais vont t’avouer que tel ministre, tel député, tel président de la république, avant d’être là où il est là, a d’abord versé le sang de trois de ses cousines.
Et le pire dans tout ça, c’est que toutes ces histoires lugubres vont faire bien rire les autres…
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