10 novembre 2014

Faits divers: tous les Camerounais sont des sanguinaires !

On rit comme ça hein, mais les Camerounais sont des vampires !

Je suis parfois frappé que nos journaux télévisés commencent par des accidents de circulation. Je suis souvent interloqué quand dans la presse nationale, ce sont les histoires de sorcellerie qui occupent la page de couverture. Je suis toujours très déconcerté quand dans nos films, sur les réseaux sociaux et dans nos radios, ce sont les affaires de meurtres, de mœurs, de trafics d’organes et de mysticisme, qui ont la cote ici dehors…

 

La société camerounaise est pervertie ; pas à cause de la pornographie, mais à cause de la sauvagerie.

Il n’y a qu’à voir dans nos vidéos-clubs (il n’y a plus de salles de cinéma) : nos adolescents adorent les scènes d’éventration, ils adorent les scènes d’édentation. Ils sont même capables de manger leur pain chargé pendant un film d’horreur…

 

Nous sommes tous des sanguinaires, et c’est déplorable. C’est pourquoi les histoires comme celles de Vanessa Tchatchoua ont eu un succès médiatique. Qui avait volé son bébé ? Hein ? Nous aimons les histoires morbides, et c’est pourquoi nous regardons les émissions comme Regard Social qui nous exhibent les sujets tabous, les faits divers, et qui nous exposent des malformations physiques de certains Camerounais.

Nous aimons entendre qu’il y a des crimes rituels à Mimboman, que là-bas on enlève les parties des filles et qu’on part les revendre à l’étranger. Nous aimons les choses mystiques, nous aimons le monde irrationnel. C’est pour cela que le livre de Charles Ateba Eyéné (La dictature des loges…) a été un best-seller.

 

Comme Petit-Pays avait dit, c’est dans le sang. Et donc, chaque fois que je suis dans un bus camerounais, je regarde vers le sol et je me secoue la tête. Qu’est-ce que nous cherchons même au juste ? Il suffit que le chauffeur ralentisse un peu, pour que tous les passagers se lèvent de leur siège, en espérant qu’il y a eu un accident au-dehors. Et puis c’est des mains sur la tête, c’est des « j’avais bien dit que la voiture-là roulait à vive allure », c’est des bavardages à n’en plus finir, sans aucune compassion, mais avec une espèce d’assouvissement, de soif étanchée, de ce sentiment bizarre que Florian Zeller a appelé La fascination du pire…

 

Des Camerounais se réjouissant d'un accident de camion brassicole
Des Camerounais se réjouissant d’un accident de camion brassicole

 

Je ne veux pas être de ce monde-là, je suis une âme sensible. Je suis encore de ceux qui refusent de participer aux justices populaires. Tu sais, la justice où on déchiquette un être humain en pleine rue, et où tout le monde lui lance des pierres à la figure. Moi je refuse ça, je suis contre. Je ne suis pas un sanguinaire. Je suis de ceux qui ne fantasment pas sur les conteneurs qui ont écrasé les bendskineurs, ou sur les cargos qui ont jeté leurs passagers dans une rivière à PK8.

Je suis de ceux qui pensent que le camion qui avait éradiqué les usagers à Ndokoti, eh bien ce n’était pas du tout un truc à voir !

 

Mais nous sommes rares, malheureusement, dans ce pays qui a le goût du sang. Nous sommes rares à revendiquer une éthique plus juste, et à réclamer que nos enfants soient épargnés par de telles images. Nous sommes une minorité à demander que les journaux télévisés commencent par un vrai journal, et que les histoires macabres soient diffusées dans une tribune qui s’appellerait alors « Faits Divers ». Je parle des maisons qui s’effondrent, des élèves qui entrent en transe, des fillettes qui avortent, des villageois qui étêtent leur propre frère, des trains qui déraillent, des inondations, des éboulements… et des pères qui (ac)couchent avec leurs propres filles…

 

Tous les Camerounais sont des sanguinaires, je t’ai dit ! Tous les Camerounais peuvent regarder un accidenté grave en buvant tranquillement leur bière. Tous les Camerounais vont te dire en rigolant que leur voisine est décédée, en accouchant. Tous les Camerounais vont te dire que les morguiers de nos hôpitaux couchent avec tous leurs cadavres. Tous les Camerounais vont t’avouer que tel ministre, tel député, tel président de la république, avant d’être là où il est là, a d’abord versé le sang de trois de ses cousines.

 

Et le pire dans tout ça, c’est que toutes ces histoires lugubres vont faire bien rire les autres…

 

Ecclésiaste DEUDJUI

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Commentaires

wilet
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Tout a fait raison.

papa
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Cette fascination pour le morbide se trouve presque partout. Je dis presque parce qu'en Chine ce serait plutôt le contraire, journal télé sans faille, tout va bien, aucune vague à l'horizon, tout est bien lisse, ça déborde pas d'un millimètre, d'après des amies chinoises.

Concernant l'Europe, la simple lecture d'un programme de télévision en dit long. Écouter ces horreurs à longueur de temps fait décrocher complètement les gens de la réalité, et ce n'est pas qu'une affaire de banalisation. C'est de la corruption, pure et dure. L'étymologie est importante, corrompre, c'est littéralement la contraction de "cœur rompre", or le cœur est le centre de l'Homme, et vous savez ce qu'on dit en latin ? "Corruptio optimi pessima est" soit en français : la corruption du meilleur est la pire.

Tous ces trucs qui pourrissent la tête participent au pourrissement général et à la déliquescence des peuples. Parce qu'il est nécessaire de répandre le malheur et de rendre les gens névrotiques pour en faire de vrais consommateurs. C'qu'il y a de terrible avec les images, et ça vaut pour le cinéma aussi tant qu'j'y suis, c'est qu'on se croit toujours très malin, mais notre cerveau ne fait pas la distinction entre une expérience directement vécue et une expérience seulement vécue par procuration, par la vue seule.

On est des éponges, et plus on s'expose à de la merde, plus on en garde trace. On a beau laver, à force de salir son linge, il perd tout son éclat. Les mièvreries n'effacent rien, c'est encore même un autre fléau, plus sournois mais du même acabit. Suffit de voir l'influence des telenovelas et autres feuilletons et films à l'eau de rose sur les relations humaines, toutes ces choses pourrissent la spontanéité de nos semblables. Des histoires invraisemblables cousues d'expressions surjouées, et surpiquées de dialogues pauvres, un défilé de haute coulure, un torrent de boue qui participe à transformer le réel en spectacle permanent.

Quand j'entends des gens me sortir des mots et autres expressions pourries trimbalés par les fictions, qu'ils ont entendu la veille, ça me fait mal au cœur. Avec tous les concepts bancales qui vont avec. Les tautologies et les oxymores vont bon train, je suspecte même qu'il y ait des bases sérieuses de programmation neurolinguistique derrière car tout ça forme un proto-langage se substituant à toute réflexion par une fausse logique. Le prêt-à-penser commence ici. La langue de bois est le domaine où excellent les sophismes.

On peut rejeter tout ça, s'isoler, mais rien n'y fait, on est encerclés car n'importe qui est susceptible de colporter les merdes dont on veut se protéger, c'est littéralement infernal. Même les gens prétendant ne pas regarder la télévision y sont soumis malgré eux par leur entourage direct ou indirect. Le journal télé est un bon exemple de foule psychologique en pratique, pour ne pas dire en pleine cérémonie, même.

C'est chaud c't'époque de fous, on est dedans jusqu'au cou. Parce qu'on peut fermer les yeux, détourner le regard, mais combien de gens écoutent seulement, la télé allumées en bruit de fond en permanence ? Les oreilles n'ont pas de paupières !