Vain mai
Dans un contexte de précarité généralisée, le Cameroun s’apprête à commémorer les 52 ans de son unité nationale. Et pourtant ce 20 mai représente, selon toutes apparences, un véritable vain symbole…
Vain tribalisme
Le Cameroun est l’un des pays les plus tribalistes au monde, même si cela ne transparaît pas en surface. Nous nous mélangeons apparemment entre nous, nous nous marions entre nous et nous nous malaxons entre nous lorsqu’il s’agit de réaliser des choses sans importance…
Le Cameroun est pourtant un pays où la coloration tribaliste revêt une importance prépondérante. Je dirais même, la coloration ethnique. Les Bamilékés appellent les autre tribus les « nkwas », et ces nkwas-là appellent les Bamilékés les « b’belogo’logo ». Tout ceci avec une consonance péjorative, évidemment, et avec parfois des relents de supériorité identitaire voire de discrimination.
Pour les anglophones alors, c’est grave ! La condescendance a porté jusqu’à l’explosion d’une crise sécessionniste dans les régions de Nord-Ouest et du Sud-Ouest, parce que les gens de ces deux régions s’estiment suffisamment lésés. On dit qu’ils sont à gauche, et qu’ils ne conquerront jamais le pouvoir suprême même si le poste de Premier ministre leur est constitutionnellement attribué. Et c’est pareil avec les nordistes du Grand Nord dont on dit qu’ils sont devenus envahissants dans le Grand Sud ; d’ailleurs depuis que Ahidjo avait démissionné, on ne sait même plus si un Peuhl ou un Toupouris aura encore l’occasion d’être plébiscité à une élection présidentielle ici au Cameroun…
Vain déséquilibre politique
La concurrence politique est déséquilibrée. Il y a un parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qui représente un véritable mastodonte, et il y a les autres « petits partis politiques » comme Paul Biya les nomme lui-même, et qui n’ont même pas la capacité financière de couvrir l’intégralité d’un minguili arrondissement…
L’échiquier politique camerounais est très-très déséquilibré. Le préfet de la Mvila vient de demander à tous les partis d’opposition de sa circonscription, de défiler avec l’effigie de leur adversaire politique Paul Biya. De son côté, l’Administration territoriale ne l’impose pas sur l’ensemble du territoire national, mais elle interdit formellement de brandir le portrait d’une quelconque autre personnalité en dehors de monsieur Paul Biya.
Il n’y a pas d’équilibre politique au Cameroun. Il y a un parti au pouvoir, le RDPC, qui jouit des moyens de l’État et de toute la force administrative de notre gouvernement, pour se déployer magistralement sur toute l’étendue du territoire. Et il y a d’autres partis comme le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), qui sont piétinés, disloqués par les manigances et les manipulations du ministère de l’Administration Territoriale (MINAT) en personne, au point de risquer de ne même pas pouvoir participer à la prochaine élection présidentielle à travers Cabral Libii…

Vaine pauvreté
On dit 20 mai, mais le pays est très pauvre. De quelle unité parle-t-on donc, puisque nous ne mangeons même pas ensemble ? Il y a une petite élite qui se goinfre à outrance, et il y a une grande majorité qui croupit dans la misère la plus complète et la plus insoupçonnable.
Tenez ! D’après les statistiques, il y aurait dix millions de Camerounais qui vivraient avec moins de mille francs CFA par jour, soit moins de 30 000 FCFA par mois ! Et encore, je ne vous parle même pas du chômage galopant, de la criminalité débordante, de la sous-scolarisation et de la crise éducationnelle, tout ceci expliquant le peu d’engouement de nos populations à s’engager sur les affaires électorales ou sociopolitiques…
Les Camerounais souffrent ! Même ceux qui ont de quoi manger comme mon ami Pierre La Paix Ndamè, cherchent à s’exiler au Canada. Les plus résilients s’installent dans un climat de corruption contagieuse au sein même de leur propre environnement, dans lequel les mots d’ordre sont « rétrocommission » et « bordereau ». Les Camerounais font ce qu’ils peuvent, et ils se débrouillent avec le minimum vital. Les femmes épousent les hommes par instinct de survie et les hommes épousent les femmes qui travaillent déjà, ou alors qui sont issues d’une famille fortunée. On est en plein dans une société capitalistique, mais curieusement je ne leur en veux pas ; parce que la République du Cameroun est devenue un « continent » excessivement compliqué à vivre !
À lire : Le Cameroun, un « continent » dans le noir !
Vaines tensions
Et puis, il y a la guerre au No-So. Le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Il y a des tensions au niveau de la frontière centrafricaine. Il y’a des frustrations sur l’ensemble du territoire camerounais, à cause des litiges fonciers et des expropriations inappropriées. Il y a que les partis d’opposition deviennent de plus en plus bellicistes, et même à l’intérieur du RDPC, il y a de grands manitous qui ont orchestré un coup d’Etat qui s’opère lentement mais de façon très scientifique…
Le Cameroun repose sur des braises ardentes. Les gens sont sous tension, et ils sont prêts à exploser à tout moment. La crise de la Fécafoot risque de nous diriger vers une insurrection généralisée, car les fanatiques de Samuel Eto’o sont des extrémistes qui ont déjà dépassé le stade de la raison pure. L’armée et le BIR opèrent une sorte de « terrorisme » auprès des populations civiles, et mêmes les chefs de terre (sous-préfets, préfets, gouverneurs) participent de ce musèlement ; puisque le moindre rassemblement est immédiatement interdit et réprimé sur l’ensemble de nos 475 000 km².
À lire : Pourquoi les Camerounais adorent détester Samuel Eto’o ?

Vain, mais…
Donc dans un contexte de précarité généralisée, le Cameroun commémore aujourd’hui les 52 ans de sa pseudo-unité nationale. Et pourtant hein, ce 20 mai représente un vain symbole selon toute vraisemblance…
20 mai ! C’est la date officielle de la célébration de l’unité nationale au Cameroun, et nous la commémorons systématiquement chaque année.
20 mai ! C’est l’une des rares occasions que nous avons de pouvoir voir Paul Biya, un président invisible et taciturne ; mais qui apparaîtra ce lundi pour nous faire accroire que le Cameroun se porte comme un petit paradis.
Vain mai ! Car malgré tous les efforts gouvernementaux pour donner un sens à cette « fête », il reste que les Camerounais souffrent le martyr. De quoi transformer cette célébration en une véritable vanité générationnelle…
Car depuis que je suis tout petit, depuis que je suis né en réalité, j’entends parler de la fête du 20 mai comme un symbole de notre unité nationale camerounaise, et pourtant tout ceci n’est que le résultat d’une méticuleuse fabrication idéologique. Puisque depuis le 20 mai 1972, le Cameroun ne cesse de se fissurer intérieurement. Les écarts culturels et économiques ne cessent de se distancer, au profit d’une infime petite minorité de personnes qui s’apprivoisent toutes nos richesses, et qui nous consolent avec des concepts rassembleurs qui sont généralement très creux. Le 20 mai est donc un évènement vain, qui n’a aucune consistance sociologique ni historique, et qui n’est pas le résultat d’un construit collectif visant à nous conduire vers la matérialité d’une unité nationale.
Puisque nous n’avons que le « vivre ensemble », bien sûr, bien entendu, mais qu’avez-vous donc fait du « manger ensemble » qui nous paraît certainement beaucoup-beaucoup plus important ?
Ecclésiaste DEUDJUI, vaine unité nationale
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