7 octobre 2019

L’histoire d’un grand dialogue

Du 30 septembre au 4 octobre de la semaine dernière, le Cameroun a vécu le plus grand dialogue inclusif de l’ère présidentielle de Paul Biya (déjà 37 ans quand même !).

Et c’est cette histoire-là que je vais vous raconter…

 

logo du Grand dialogue national
Le logo du grand dialogue. Source: sinotables.com /CC

 

L’origine du problème

Déjà, il faut rappeler que le grand dialogue national que nous avons vécu la semaine dernière, il était la conséquence de beaucoup-beaucoup de problèmes : les attentats terroristes de la secte Boko Haram au Nord, la crise post-électorale avec le MRC, le parti d’opposition, et l’arrestation de son leader contestataire Maurice Kamto, le mal-être et le mal-vivre des Camerounais qui avaient causé les émeutes de la faim au mois de février 2008, et puis finalement la crise anglophone qui est devenue une guerre civile…

La crise « dite » anglophone.

Et c’est dans cette atmosphère de tribalisme grandissant et de haine intempestive sur les réseaux sociaux, que le grand dialogue national s’imposait à nous tous. Puisque les Camerounais réclament la décentralisation et la remodélisation de nos systèmes éducatif et judiciaire, sans parler du sécessionnisme au Nord-Ouest-Sud-Ouest qui a déjà causé des milliers de morts, des centaines de milliers de déplacés mais aussi des pertes économiques qui sont actuellement évaluées à plusieurs milliers de milliards de francs CFA…

 

La convocation du dialogue

Et donc le mardi 10 septembre 2019, dans une adresse à la Nation qui n’avait rien de coutumière (Paul Biya ne s’exprime que le 10 février et le 31 décembre en général), le chef de l’État a pris la parole pour déclarer que « afin de ramener la paix dans les deux régions anglophones en crise, je convoque l’ouverture d’un grand dialogue national qui sera présidé par le Premier ministre, et qui aura lieu d’ici la fin de ce mois. »

Dont acte.

Et c’est ainsi que dès le lendemain matin, ledit Premier ministre Dion Nguté (il n’est pas le frère de Céline Dion hein) a commencé les consultations en vue de l’établissement de la forme de ce dialogue ainsi que de ses participants. Il a reçu tour à tour des leaders religieux, la société civile, les partis politiques, les corps constitués, les hommes et les femmes d’affaires, les chefs traditionnels, les blogueurs et les journalistes, les commerçants et les artistes, les élus municipaux et… mon ami Pierre La Paix Ndamè !

Pendant quinze jours d’affilée. Ce qui lui a permis de concevoir un listing de 700 personnalités invitées à participer à ces fameux échanges, dont la presse, lesquelles listes lui ont été facilitées par les gouverneurs de région et par les préfets qui naturellement appartiennent tous au RDPC, le parti du président…

 

Paul Biya le 10 septembre 2019
Paul Biya, lors de son discours du 10 septembre 2019 convoquant le grand dialogue. Source: prc.cm /Image reprise sous autorisation

 

Le déroulement du dialogue

Je ne critique pas pour critiquer hein, mais j’ai observé plusieurs incohérences. Déjà, le grand dialogue avait pour vocation à résorber le problème de la crise anglophone, mais pourquoi alors les travaux se sont essentiellement déroulés en langue française ? Hein ? Pourquoi les leaders ambazoniens qui sont pourtant le nœud de ce problème, n’ont-ils pas été représentés ? Pourquoi est-ce que le lieu du dialogue c’était le Palais des congrès à Yaoundé, et non pas choisir une ville anglophone comme Buea, ou Limbé, ou Bamenda, ou Tiko et que sais-je encore ? Pourquoi le président de la République n’a pas voulu assister personnellement à ces différentes assises ? Pourquoi est-ce que c’est le gouvernement qui a choisi lui-même les sujets à l’ordre du jour, la liste des participants comme je vous ai dit, la date et le timing des sessions, ainsi que le porte-parole de ces débats qui n’était personne d’autre que Georges Ewanè qui est malheureusement un journaliste de la CRTV, un média étatique (et donc forcément un militant du parti au pouvoir) ?

Et puis, on a remarqué les défections du MRC, de Kah Wallah, d’Alice Sadio, d’Akere Muna et de bien d’autres acteurs, qui ont considéré que ce grand dialogue n’était ni plus ni moins qu’une grosse mascarade ! On a aussi vu que certains sujets étaient prohibés pendant les délibérations, notamment la question sur l’alternance à la tête de l’État qui a été évoquée par le sultan Ibrahim Mbombo Njoya. On a constaté que la plupart des présidents de commissions (il y en avait huit au total) étaient tous des militants du RDPC ! Et que les barons du régime qui disaient auparavant que « Il n’existe pas et il n’a jamais existé de problème anglophone ! » étaient miraculeusement en tête de liste, et que ce sont même eux qui remplissaient les ateliers alors que normalement cette concertation aurait dû bénéficier d’un minimum de neutralité…

 

Les résolutions du dialogue

On a décidé de la réforme du système éducatif. On a modifié les procédures judiciaires. On a adopté le principe de la double nationalité. On a opté pour que les délégués du gouvernement auprès des communautés urbaines ne soient plus de super-maires, et qu’ils soient désormais soumis aux suffrages des électeurs. On a promis de réinjecter de l’argent dans les zones sinistrées, en vue de leur reconstruction économique. On a obtenu l’arrêt des poursuites contre 333 personnes qui étaient impliquées dans la crise anglophone, ainsi que la libération de 102 militants du MRC dont les grandes figures sont Michèle Ndoki, Paul-Éric Kinguè, Célestin Djamen, Valsero, Penda Ekoka, Alain Fogué, Albert Dzongang et bien entendu Maurice Kamto (ils ont été relaxés le samedi 5 octobre). On a milité pour une accélération de la décentralisation, avec notamment un « régime spécial » pour les deux régions anglophones, mais aussi le renforcement des compétences administratives pour le reste des maires qui travaillent dans les autres communes…

Il y a eu beaucoup de résolutions prises, et certainement de bonnes. Mais je vous rappelle que lors de la précédente tripartite, il y en avait eues de bien meilleures ! On avait notamment adopté cette même décentralisation qui est encore à l’ordre du jour aujourd’hui, et on avait même validé la limitation des mandats présidentiels au nombre de deux seulement !

C’était depuis l’année 1991, mais vous constaterez que monsieur Biya est toujours là.

 

Maurice Kamto lors de sa libération
Maurice Kamto (en lunettes, au centre de l’image) lors de sa libération le samedi 5 octobre 2019. Source: camer.be /CC-BY

 

L’histoire d’un très grand dialogue

Donc du 30 septembre au 4 octobre de la semaine dernière hein, le Cameroun a vécu le plus grand dialogue inclusif de l’ère présidentielle de notre président (ça fait trente-sept ans qu’il est là !).

Et c’est cette histoire-là que je tenais absolument à vous raconter…

 

L’histoire d’un grand dialogue. C’est l’histoire d’une réconciliation qu’on aurait pu tenir depuis le mois novembre 2016, lorsque la crise anglophone n’avait pas enflé, mais que nos dirigeants ont minimisée par arrogance et condescendance.

L’histoire d’un vrai dialogue. Je me demande si Paul Biya n’a pas initié ce dialogue pour éviter l’intervention militaire de la communauté internationale, parce que c’est quand même bizarre que cette convocation a coïncidé avec la tenue de l’assemblée générale de l’ONU.

L’histoire d’un dialogue « inclusif » qui a pourtant exclu les vrais sujets qui devaient accompagner les délibérations, car personne n’a parlé du Code électoral, de la séparation des pouvoirs, de la limitation des mandats présidentiels, de la déclaration des biens,  de l’indépendance de la Justice, etc.

 

Alors on aura beau tourner autour du pot comme ça pendant des années et des années, ce problème finira inéluctablement par venir se poser de nouveau. On aura beau faire semblant que les problèmes du Cameroun sont des problèmes d’ordre structurel, voire conjoncturel, on finira invariablement par revenir à l’évidence. On aura beau convoquer les grands dialogues dispendieux ou encore répéter des tripartites où les gens iront surtout pour se faire des selfies, mais rien n’y changera !

Parce que les Anglophones sont comme les Francophones et ils ont tout simplement besoin de découvrir un nouveau président.

 

Ecclésiaste DEUDJUI, c’est notre Histoire

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