26 février 2018

Cameroun, février 2008

Cela fait exactement dix ans. Notre pays a failli basculer dans la guerre civile et dans le chaos. Tout s’est passé en quelques jours, à la fin de ce funeste mois de février 2008…

 

rapport des Nations-Unies sur les émeutes de février 2008 au Cameroun
Le rapport des Nations-Unies sur les événements de février 2008 n’a pas épargné l’Etat du Cameroun. Source: calameoassets.com /CC-BY

 

Tout est parti de la grève

Tout est parti de la grève des automobilistes. Puisque comme on venait d’augmenter le prix du carburant, les syndicalistes des transporteurs avaient menacé d’exécuter une grève sur toute l’étendue de notre territoire national. Mais sauf que ça devait aller au-delà de la grève, des camarades qui m’avaient prévenu que « Gars, ce lundi ce sera chaud ! »

Et c’est comme cela que les rumeurs sont allées bon train, certains nous prédisant même le chaos total et la guerre civile dans notre pays. Certains nous informant que la grève des automobilistes allait certainement être récupérée par des nationalistes, et que des opposants allaient passer par là pour demander à Paul Biya de se retirer définitivement de la présidence de notre Cameroun…

 

Ensuite il y avait eu les villes mortes

La grève des automobilistes débuta le lundi 25 février 2008 à 6h zéro-zéro. Et comme une traînée de poudre, c’est toute la République qui se paralysa au même moment, sans aucun mot d’ordre ! Les bendskineurs et les taximen et les camionneurs avaient grevé parce que le prix du carburant était devenu très élevé, mais les Camerounais avaient « acheté » le vrai problème : coût élevé de la vie. Corruption. Népotisme. Longévité au pouvoir. Abandon de la jeunesse. Etc, etc.

Et c’est comme ça que dès ce fameux lundi, à 15 heures, tout le pays était déjà sclérosé ! Il n’y avait plus aucun commerce ouvert ! Il y avait des jeunes aux carrefours qui se mesuraient avec les forces de l’ordre et leurs camions blindés ainsi que leur gaz lacrymogène, et qui leur balançaient des morceaux de cailloux. Il y avait des vandales qui pillaient dans les boulangeries et dans les supérettes. Il y avait des hélicoptères qui circulaient au-dessus de nos têtes avec des mitrailleuses, et il y avait des activistes, qui ont été a mis au cachot parce qu’on les avait considérés comme les leaders de cette gigantesque sédition improvisée…

 

le combattant Mboua Massock
Le combattant nationaliste Mboua Massock a été incarcéré comme étant l’un des meneurs des manifestations de février 2008. /CC0

 

Puis il y a eu le bataillon d’intervention rapide (BIR)…

Le lundi et le mardi, c’était ambiance villes mortes. Les occidentaux ont appelé ça « les émeutes de la faim » alors qu’en réalité il s’agissait des émeutes pour la fin de la dictature. Mais le mercredi 27 février 2008, il y a eu le bataillon d’intervention rapide (BIR) !

La majorité des Camerounais ne connaissait pas ce corps d’élite. Mais quand Paul Biya les a fait installer à tous les carrefours de Yaoundé et de Douala pour venir remplacer les militaires et les gendarmes, nous avons pris peur ! Car les gars du BIR étaient des soldats rapides comme l’éclair. Ils étaient noirs comme le charbon. Ils étaient vraiment nerveux. Ils étaient armés jusqu’aux dents. Et surtout, surtout, ils tiraient sur nous avec des balles réelles…

Puis les Gouverneurs ont instauré le couvre-feu dans leurs régions de commandement respectives, et c’est comme ça qu’on s’est mis à entendre des coups de feu  la nuit, dès 22 heures et  jusqu’à 6h du matin. Certaines personnes en ont alors profité pour effectuer leurs règlements de compte avec des assassinats. Puis, il y a eu des manifestants et des adolescents ont disparu de leur domicile en pleine nuit. Jusqu’aujourd’hui on n’a toujours pas réussi à les retrouver alors que dix années ont passé ! Nous sommes déjà fin février 2018 !

 

…Et il y a eu le discours de Paul Biya

Si le Cameroun était un pays normal, on aurait eu un chef de l’Etat qui aurait cherché à cajoler sa population avec des mots doux dès le premier jour, ou au moins qui nous aurait caressés dans le sens du poil, comme le Général de Gaulle qui avait dit aux Français « Je vous ai compris ».

Mais le Cameroun n’est pas un pays normal : non seulement Paul Biya n’a pas pris la parole pendant les trois premiers jours des émeutes, mais en plus il ne nous a même pas cajolés lorsqu’il a prononcé son discours le jeudi soir. Il a plutôt parlé des « apprentis-sorciers » qui seraient tapis dans l’ombre et qui auraient manipulé la jeunesse afin d’obtenir ce vaste mouvement d’humeur généralisé. Il a terminé en disant que l’État resterait ferme face à toutes nos protestations.

« Force reviendra à la Loi », voilà même les mots qu’il avait prononcés exactement.

 

la mère du jeune Junior Mbeng qui pleure son fils disparu pendant les émeutes de février 2008
Cette maman a perdu son fils unique le 26 février 2008 à Bonabéri, alors qu’il venait d’avoir 18 ans. Source_ matango.mondoblog.or /image reproduite avec l’expresse autorisation de l’auteur

 

Retour sur les émeutes de février 2008

Cela fait donc exactement dix ans que le Cameroun a failli basculer dans la guerre civile et dans la guérilla. Tout s’est passé entre le lundi 25 février et le vendredi 29 février de l’année 2008…

En février 2008, les Camerounais manifestaient se plaignaient parce que Paul Biya prévoyait de modifier la Constitution (l’article 6.2) pour pouvoir se re-présenter à la présidentielle de 2011, et même à celle de 2018, comme c’est le cas d’ailleurs pour le mois d’octobre prochain. Et il l’a modifiée.

Durant les émeutes de février 2008, les Camerounais se sont levés comme une seule personne pour manifester leur ras-le-bol contre ce régime qui nous a détruits, qui nous asservit, qui nous appauvrit et qui nous assassine.

Pendant les émeutes de février 2008 ici au Cameroun, il y a quand même eu de bonnes personnes qui nous ont ramené la paix (pas Ndamè hein) comme l’excellentissime journaliste qui s’appelle Thierry Ngogang !

Durant ces quelques jours, on n’avait même plus vraiment besoin de se ravitailler. On montait dans les rues et on déversait notre colère pour que le monde entier entende enfin notre souffrance, et on espérait que les choses allaient enfin pouvoir s’améliorer ici au Cameroun. Mais voilà que nous sommes en 2018 et que les torpilleurs de notre Nation ne sont même pas encore vraiment prêts à vouloir s’arrêter…

 

Ecclésiaste DEUDJUI, hommage aux victimes de février 2008

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