5 juin 2017

Les dérives de l’affaire de l’évêque « dans l’eau »

Dans la nuit du mardi 30 au mercredi 31 mai 2017, on a trouvé la voiture d’un évêque sur le pont de la Sanaga, à Ebebda. Sur les sièges, il y avait un mot : « Je suis dans l’eau ».

Et là, les problèmes des Camerounais ont commencé.

 

évêque Balla
Portrait de l’évêque disparu Jean-Marie Benoît Ballla

 

D’abord, les faits

Personne n’était là. Mais on raconte que Monseigneur Jean-Marie Benoît Balla a quitté le diocèse vers les 23h30. Ensuite, il est monté dans sa Prado de marque Toyota (les prêtres camerounais aiment les grosses voitures), il a mis un CD de James Brown et il a directement pris la route qui le menait vers la sortie de la ville de Bafia.

Personne n’était là. Mais, pour une raison que l’on ignore, il n’est pas d’abord rentré chez lui pour enlever au moins sa soutane. Puisque, quand il a pris la route pour Yaoundé,  on a seulement retrouvé son véhicule à près de 55 km de Bafia, dans la petite ville d’Ebebda. C’était sur le pont de la Sanaga. La portière du chauffeur était grandement ouverte. Et, sur les sièges, on a trouvé un trousseau de clés avec une carte d’identité et aussi un petit mot qui était bien lisible et qui disait que « Je suis dans l’eau ».

 

pièces d'identité dans la voiture
Les pièces d’identité de Mgr Balla ont été retrouvées dans son véhicule

 

Puis les réseaux sociaux

J’ai appris la disparition de Monseigneur Jean-Marie Benoît Balla par pur hasard ! D’ailleurs, je ne savais même pas qu’il vivait… Mais comme j’étais dans le bureau d’une secrétaire qui était constamment connectée sur Internet Facebook, c’est elle qui nous informé que l’évêque de Bafia venait de se « suicider ». Puis quand j’ai discuté avec Pierre La Paix sur WhatsApp, c’est lui qui m’a envoyé les premières images de cette disparition de missionnaire.

Le lendemain, le #JeSuisDansLeauChallenge était déjà sur les réseaux sociaux. Mince alors ! Le respect a foutu le camp dans ce pays-ci ! Comment est-ce possible que quelqu’un disparaîsse, et de surcroît un envoyé employé de Jésus-Christ, et que les Camerounais s’amusent avec sa mémoire comme ça ? Parce que, même sur Instagram, je n’ai pas vu une seule photo de compassion ! Je n’ai pas vu un seul tweet de commisération sur Twitter. J’ai seulement vu des gens sur les réseaux sociaux qui faisaient des jeux de mots sarcastiques avec les phrases « Je suis l’eau », « Je suis dans le bar », « Je suis dans la chambre », « Je suis chez ma bordelle ».

 

parodie de Mink's
L’une des multiples parodies sur la disparition du prélat de Bafia

 

Puis, les enquêtes officielles

J’espère que ça ne va pas tomber « à l’eau », comme la plupart des commissions d’enquêtes que Paul Biya met souvent sur pied pour calmer nos esprits. Parce que, dès le premier jour, on a vu des préfets et des sous-préfets en train de se photographier sur le vieux pont de la Sanaga. On a vu des experts en graphologie, qui ont pris le petit papier où il y avait écrit « Je suis dans l’eau », et ont dit qu’ils allaient vérifier si c’était la vraie signature de monsieur Monseigneur.

Les enquêteurs ont d’abord pensé à un enlèvement, puis à un suicide, puis à un assassinat. On a vu les pompiers du Département du Mbam fouiller les eaux pendant plus de 48 heures, et avec l’aide de quelques pécheurs. On a vu le lieutenant Columbo, qui nous a indiqué l’absence de traces d’agression physique sur la Land Cruiser blanche. On a même pensé à un exil déguisé, puisque des criminologues chevronnés ont imaginé que « Je suis dans l’E.A.U. » voulait en réalité dire « Je suis dans l’Exil Aux Usa ».

 

enquêteurs autour d'une voiture
Brigade d’enquêteurs sur les lieux de la disparition

 

Puis, les dérives

La première dérive a eu lieu lorsque j’ai lu le papier de J. Rémy Ngono. Il faisait la liste des prélats qui ont été assassinés au Cameroun depuis 1982, depuis que Barthélémy Mvondo est au pouvoir (donc, si l’on suit son raisonnement, c’est lui qui les a tués ?).

La deuxième dérive a eu lieu lorsque les pasteurs des églises réveillées ont profité de cette histoire pour dire à leurs fidèles : « Voilà Satan qui est déjà en train de reprendre le Pouvoir ! »

La troisième dérive a eu lieu quand des gens ont balancé l’image d’un accident qui avait eu lieu en Côte-d’Ivoire en août 2011, en faisant croire qu’on venait de retrouver le corps de l’évêque Balla.

La quatrième dérive a eu lieu quand le chanteur Maahlox LeVibeur (qui est censé être un modèle pour la jeunesse) s’est exprimé trivialement et irrévérencieusement au sujet de la disparition d’un homme de Dieu.

Et a cinquième dérive, c’est lorsque mon ami One Love a sorti une chanson sur cette affaire en moins de 24h ! Il a chanté « Je suis download », mais tout le monde comprend bien qu’il voulait nous informer qu’il était aussi déjà dans le marigot…

 

fouilles dans la Sanaga
La recherche du cadavre a nécessité 48 heures de fouilles

 

L’histoire de l’évêque de Bafia qui « se serait » jeté dans la Sanaga…

Donc depuis le mercredi 31 mai 2017, les Camerounais ne comprennent plus rien dans cette affaire ! Soit il s’est vraiment jeté lui-même dans l’eau oooh… Soit on a seulement jeté son corps dans l’eau oooh… Soit il a voulu se jeter dans l’eau parce que les mauvaises langues racontaient que son évêché était devenu le plus grand centre de formation de la pédophilie et de l’homosexualité oooh…

 

Il nous a mis dans l’eau en tous cas. Parce qu’on ne sait pas pourquoi il a fait ça, qui l’a aidé à faire ça ou si on l’a forcé à exécuter ce genre de bêtise.

Il nous a révélé qu’il était « dans l’eau ». Puisqu’au Moyen-Âge, cette expression signifiait que tu étais pris dans un piège et que tu ne savais pas que faire pour t’en extirper.

Il nous a noyés comme on noie les poissons qui ne savent pas nager : comment peux-tu restas plus de deux jours dans un fleuve, sans que ton ventre ne soit ballonné et qu’en plus, on ne trouve pas d’eau dans tes poumons ?

 

Et c’est pour ça que, lorsqu’on a retrouvé son corps vendredi matin, dans une petite rivière de la circonscription de Monatélé, les gens ont commencé à parler de vampirisme et de sorcellerie. Les traditionalistes ont répété que c’était une honte de se suicider ici en Afrique. Les grands théologiens ont commencé à nous parler de théories du complot. Le nonce apostolique a été affecté en Indonésie. Les grands marabouts ont commencé à invoquer les grands esprits ainsi que les grands ancêtres. Les grands médecins légistes ont commencé à examiner le cadavre ; puis, ils ont confirmé qu’il s’agissait bel et bien de cet évêque, né le 10 mai 1959 à Oweng, et qui avait été nommé par le pape Jean-Paul II au cours du mois de mai de l’année 2003.

Et à l’époque, tous les gens qui pleurnichent aujourd’hui ne savaient même pas qu’il y avait un évêque exerçait, là-bas, dans la ville de Bafia.

              

Ecclésiaste DEUDJUI, je ne suis pas dans le lot

WhatsApp: (+237) 696.469.637

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Commentaires

Massa Makan
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Belle analyse teintée d'humour mais qui suscite de nombreuses interrogations quant à cette étrange disparitions qui comme tous les faits les divers de notre pays ne pouvait passer inaperçue par les réseaux sociaux. même si on déplore la dérision dont elle a fait l'objet...

Ecclésiaste Deudjui
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Cette dérision traduit le caractère sanguinolent de la société camerounaise