22 juin 2015

Au Cameroun, on préfère les « Lionnes indomptables »

J’ai dragué Madeleine Mani Ngono en 2005, à Yaoundé. Elle sortait d’un entraînement avec son club de l’époque. Je me suis approché de la fille, et je lui ai dit : « Tu dribbles bien, hein ! » (Je sais, ce n’est pas terrible).

Toujours est-il que la fille m’avait repoussé au bout de quatre phrases seulement, mais cette histoire-là n’a plus d’importance ! Parce que c’est grâce à Mani que je suis tombé amoureux du football féminin camerounais.

 

Gaelle Enganamouit, 1ère africaine à réaliser un triplé dans un Mondial
Gaelle Enganamouit, 1ère africaine à réaliser un triplé dans un Mondial

 

IL N’Y A PAS DE CHAMPIONNAT DE FOOTBALL FÉMININ AU CAMEROUN

Comme les gens nous ont vu briller au Canada comme ça, ils vont croire que notre politique sportive est pensée jusqu’ààààààà… Et pourtant, je vais vous tuer le suspens : il n’y a pas de championnat de football féminin au Cameroun !

Les gens qui sont chargés d’organiser ça, eux, ils ne regardent que leurs per diem et leurs frais de mission. Ils ont suspendu notre championnat depuis quelques années, parce que ça ne leur « rapportait pas grand-chose ». Ils ont dissous nos équipes mythiques comme les Lorema, les Canon, et les Tonnerres. Résultat : nos filles n’ont plus d’encadrement pour développer leur potentiel ! Elles se mélangent parfois avec les garçons qui jouent à la santé dans leur sous-quartier. Elles rêvent de devenir des Samuelle Eto’o Fille, mais les gens de la Fecafoot les considèrent comme des lesbiennes qui sont presque devenues des garçons manqués (ou alors l’inverse). Sans savoir qu’on peut être en même temps un garçon manqué et une fille totalement réussie.

 

ENOH NGATCHOU EST MIEUX QUE VOLKER FINKE

Voilà enfin un Noir qui dépasse un Blanc. Venez me dire le contraire ! Puisqu’il n’y a pas l’argent dans le football féminin, vous avez mis un anglophone là-bas en disant que « A’aka ! Qu’il gère comme il peut là-bas ! » Et voilà que la surprise est en train de vous surprendre ; et bientôt vous tous aurez honte.

Enoh Ngatchou, c’est le porte-parole des nombreux entraîneurs qu’il y a ici au Cameroun. Il vous a prouvé qu’un Camerounais peut connaître la tactique. Il vous a prouvé qu’un Noir, avec un staff noir comme le charbon, peut maîtriser son équipe jusqu’à gagner même la vraie patrie de Paul Biya (Cameroun 2, Suisse 1).

Mais j’ai bien peur que cela ne serve à rien, parce que pour vous il n’y a que les expatriés qui peuvent comprendre le système 4-2-3-1. J’ai bien peur qu’on lui fasse ce qu’on a fait à Jean-Paul Akono après les Jeux Olympiques 2000 (on lui a dit « Dégage ! »), alors qu’il venait de remporter la compétition. J’ai bien peur que quand il faudra donner beaucoup de millions à un sélectionneur pour qu’il s’asseye sur notre banc, on va toujours chercher quelqu’un qui habite là-bas en France ou alors en Grande-Bretagne ou bien en Macédoine… Tsuip !

 

LE TRAITEMENT FINANCIER DES HOMMES ET DES FEMMES, CEST LE JOUR ET LA NUIT !

Lorsqu’il s’agit de l’équipe masculine, on fait semblant de durcir sur les primes mais on finit toujours par libérer les gars. Mais lorsqu’il s’agit de l’équipe féminine… Niètt !!

Vous vous rendez compte que Adoum laisse Garoua pour aller à Edmonton raconter ses sottises ? Il arrive là-bas avec le type qui a les favoris, et les gars disent aux joueuses de ne pas réclamer leurs primes si elles veulent toucher beaucoup d’argent au retour (il paraît que l’argent gagné sur le sol canadien est trop compliqué oooh).

Entre-temps leurs propres primes passent hein ! Joseph Owona et Adoum Garoua touchent 1 million de francs CFA par jour ! Sans compter qu’ils disposent de 50 millions de francs CFA de frais de souveraineté !

Parce que quand ils ont appris qu’on a gagné contre l’Équateur (6-0), ils sont rapidement montés dans l’avion avec une délégation de 49 personnes (pour venir se balader au Canada). Et dans cette délégation chacun touche 150.000 FCFA par nuitée, hormis les frais d’hébergement et de la restauration !…

Et pourtant ce sont nos filles qui laissent leurs poumons sur le terrain, mais c’est à elles qu’on demande de patienter d’abord ! Alors qu’elles se sont préparées dans l’anonymat le plus total, dans l’indifférence de tous ces « normalisateurs ». Alors qu’elles manquaient d’eau pendant les entraînements, de nourriture, d’argent de taxi, de survêtement ; et que c’est comme ça qu’elles ont remporté les Jeux de Maputo en 2012, et qu’elles ont été finalistes de la CAN en 2014.

Mais vous voyez, c’est à ces filles-là qu’on demande de patienter d’abord avant de percevoir l’argent qu’elles ont travaillé…

 

NON, LE « HEMLÉ’É » CAMEROUNAIS N’EST PAS (ENCORE) MORT !

Ça m’a un peu dérangé de vous parler de ces administrateurs véreux, le Ministre des Sports et le président de la Normalisation. Parce que ce sont des gens comme ça qui assassinent la jeunesse de notre peuple. Mais il ne faut pas que je perde l’essentiel : nos Camerounaises nous ont redonné le goût du « hemlé’é » !

Avec les Lionnes Indomptables, tu es sûr que les filles vont mouiller le maillot jusqu’à il y aura inondation sur le gazon. Tu es sûr que si la latérale perd le ballon, la stoppeuse va venir pour l’aider. Et si la stoppeuse perd aussi le ballon, c’est la libéro qui va surgir pour dégager le ballon-là avec la rage…

Avec les Lionnes Indomptables, il n’y a pas quelqu’un qui est là pour baisser son short à chaque minute. Il n’y a pas une joueuse qui va faire le classement alors que Enoh Ngatchou est encore en poste. Il n’y a pas une fille qui va dire que si sa sœur ne joue pas, elle non plus ne jouera pas. Il n’y a pas quelqu’un qui va entrer au stade pour faire les manières, pour se faire voir, alors qu’il y a toute une république qui se réveille à 2h du matin pour regarder vos maigres jambes !

Et pour vous dire la vérité, ça faisait déjà dix ans qu’on n’avait plus ressenti ce genre de sentiment : être content d’avoir une équipe nationale compétitive !

 

Enoh Ngatchou, le sélectionneur, considéré comme le grand artisan de cette réussite
Enoh Ngatchou, le sélectionneur, considéré comme le grand artisan de cette réussite

 

ICI AU CAMEROUN, NOUS ON PRÉFÈRE-NOUS LES « LIONNES » INDOMPTABLES OOOH !

Donc en 2005 j’ai courtisé Madeleine Ngono parce qu’elle me plaisait quand je la voyais jouer, et c’est en 2015 qu’elle a fini par me faire vibrer jusqu’à la moelle épinière ! Vous voyez alors comment la vie est capricieuse ?

 

Au Cameroun, nous on préfère Aboudi Onguéné parce qu’elle a les débordements que hein, hum, laisse seulement je ne peux pas t’expliquer sa qualité-là.

Dans le pays de Roger Milla, le seul footballeur africain à réaliser un triplé dans une phase finale de Coupe du Monde, c’est la joueuse Gaëlle Enganamouit.

Ici dans la patrie du regretté Marc-Vivien Foé, on a une milieu de terrain qui est plus intelligente que les 4 processeurs de mon ordinateur : elle s’appelle Raïssa Feudio !

 

Mais j’ai bien peur qu’après cette formidable épopée nord-américaine, nos jeunes filles retombent dans l’anonymat le plus complet. J’ai peur qu’après cette élimination contre la Chine (0-1), nos héroïnes retournent dans une indigence que vous ne pouvez même pas imaginer, et qu’elles disparaissent ainsi de notre mémoire…

Mais je n’ai pas vraiment de quoi m’inquiéter, à vrai dire. Parce que si tu te balades dans nos villes et que tu poses la question à n’importe qui, ils vont te répondre ce que tous les Camerounais pensent au fond de leur cœur : « Nous on préfère-nous nos Lionnes Indomptables ! »

 

Ecclésiaste DEUDJUI

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