Rituels funéraires : les Bamilékés ont tout compris

Article : Rituels funéraires : les Bamilékés ont tout compris
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12 décembre 2014

Rituels funéraires : les Bamilékés ont tout compris

Les Bamilékés ont compris la mort !

Cette idée m’est venue toute seule, comme un miracle. Ça m’est venu aux funérailles de ma belle-sœur. Les gens dansaient tout autour de moi, et d’autres battaient dans un tam-tam qui ne leur avait pourtant jamais rien fait de mal…

Sérieusement, ça m’est apparu comme la Vierge Marie apparaît souvent à certains esprits lubriques ! Il y avait des ténors qui tapaient dans le tam-tam, donc, et puis il y avait un rang qui était en réalité un cercle. Les gens entraient dans ce cercle en désordre, et puis en ressortaient. De temps en temps ils reprenaient en chœur les paroles des animateurs, en patois, et puis ils accéléraient la cadence de leur danse qui consistait à taper les pieds dans la terre, et qu’on appelle au Cameroun le bend-skin.

Il était minuit trente.

 

enterrement du cercueil

 

Dans nos enterrements et dans nos funérailles, les gens arrivent de tout le pays. Ils prennent leur voiture personnelle et ils accélèrent en compagnie de leurs enfants. Ceux qui n’ont pas de véhicule prennent les cars, les cargos parfois, les racolages. Ils voyagent comme ils peuvent, ils s’asseyent en petits chauffeurs dans les coasters ou sur les escaliers dans les gros porteurs, peu importe. L’essentiel c’est d’arriver au deuil, parce qu’il ne faut surtout pas manquer l’enterrement au village…

Chez nous les Bamilékés, on se salue comme si la veille nous nous étions vus, pourtant il y a parfois dix années qui nous séparent. Et la dernière fois, c’était déjà à un enterrement…

Chez nous au village, quand on se retrouve dans une cérémonie funéraire, on passe le temps à rigoler. On oublie que la vie en ville est difficile, on se rend compte de la chance qu’on a d’être encore sur ses quatre membres. On ne sait pas si le prochain enterrement ou bien le prochain recueillement, ce sera en l’honneur de notre mémoire…

On passe le temps à manger et à boire de la bière. Il y a toujours des femmes qui sont en train de préparer le repas sur les feux de bois et qui lèvent la tête et te demandent si tout va bien. Il y a la gastro-entérite qui n’est pas loin de te (re)prendre parce que tu mélanges toutes les nourritures et que tu ne te laves même pas les mains. Il y a les petits neveux de la famille qui te montrent déjà comment on boit la grande Guinness… Il y a des villageois qui viennent te faire des présentations de telle ou telle personne avec leurs dents jaunâtres, et puis vous vous esclaffez ; vous bavardez. La nuit venant, vous somnolez comme vous pouvez sur des chaises bancales ou bien sur des tables mal équilibrées…

Chez nous quand tu meurs on tape le tam-tam deux fois. D’abord la nuit pour le vrai deuil, ensuite le matin pour dire au revoir à tous ceux qui sont venus pour apporter leur soutien.

La nuit, tu vois comment les gens entrent en transe. Ils accompagnent les batteurs comme un seul homme, comme une seule personne. Ils entonnent des chants funéraires et mortuaires comme pour commémorer la disparition d’un être cher, d’un être très-très-très cher…

Alors qu’il est 2 heures du matin, dans un coin perdu du globe, tu te sens fier d’être bamiléké. Tu t’en fous de ton costume ridicule qui est là pour te protéger du froid. Tu te moques de la poussière que tu soulèves avec tes pas de danse grotesques. Tu donnerais tout ce que tu possèdes pour communier avec le reste des danseurs, si et seulement si ça pouvait ramener tous ceux qui nous ont quittés…

Chez nous les Bamilékés, le deuil de chacun c’est le deuil de n’importe qui. Le deuil de quelqu’un c’est le deuil de tout le monde. Si tu regardes bien les yeux des gens pendant les rituels, tu vas voir que tout le monde pleure. Derrière notre apparente crédulité face à la mort, il y a une grande tristesse que nous essayons de camoufler. Il y a que nous ne voulons pas accepter le sort qui nous est réservé, et que c’est pour cela que nous disons NON à la mort en disant OUI à la vie. C’est pour cela que nous banalisons l’existence pendant nos funérailles : en buvant, en dansant, en mangeant, en s’amusant, en bavardant. Et en oubliant !

Chez nous quand on pleure pour le mort, en réalité on pleure pour toutes les morts du monde !

À LA FIN, IL N’Y A MÊME PAS DE FIN. Il y a des gens qui tirent des coups de fusil traditionnel, lesquels coups symbolisent des marques de déférence envers le défunt. Il y a les proches du disparu qui portent des chapeaux bizarres sur la tête, et qui partent se mettre à genoux devant les notables de la chefferie. Il y a des gens qui cessent de danser et de pleurer et qui poussent des cris stridents en mettant une main sur la bouche, et l’autre main pointée vers le ciel…

À la fin, c’est chacun qui rentre chez lui avec ses remords et ses chagrins, sans même dire au revoir à personne, en se demandant à quoi ça sert de courir pendant toute la vie, si c’est pour se coucher ainsi pendant toute la mort…

 

victuailles pendant les funérailles

 

Les Bamilékés ont tout compris !

J’ai cessé de me moquer, et de railler. Je comprends maintenant pourquoi tous les week-ends tu les vois sur les axes lourds, aller dépenser toutes leurs économies de la semaine.

C’est parce que les deuils de chez nous, ça ne concerne pas seulement la mort, ça concerne aussi (et surtout) la vie.

Les funérailles de chez nous, c’est pour se poser la question : « Et puis quoi ? ». C’est pour célébrer les morts, les personnes disparues il y a dix ans, il y a vingt ans, il y a trente ans, il y a quarante ans. C’est pour leur dire qu’on ne les oubliera jamais. C’est pour remercier nos ancêtres, qu’on n’a jamais vus, mais dont on sait qu’ils seront toujours là. C’est pour revoir les membres de la famille, car on ne sait jamais à quel moment ils nous diront adieu. Ou que nous leur dirons adieu.

La vie est ainsi faite, et c’est comme ça.

Alors les Bamilékés mangent, les Bamilékés rient, les Bamilékés dansent, les Bamilékés s’amusent. Les Bamilékés chantent pendant toute la nuit, et ils pleurent en même temps. Les Bamilékés préservent la seule chose qui pour eux a encore un sens dans ce monde pourri, et qui s’appelle la Transcendance.

Tout le reste n’est que fioriture.

 

Ecclésiaste DEUDJUI

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Commentaires

Maxtan
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Beau texte!
On pleure les morts en dansant pour célébrer la vie comme tu dis. mais seulement les week-end! Parce que la semaine suivante, on se tue à trimer pour quelques sous en pleurant la "dure vie"

renaudoss
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Une belle philosophie qui se trouve derrière ces rituels funéraires... ça me rappelle un peu les cérémonies chez nous aussi au Togo. Tenir vaille que vaille face à la mort, je trouve que c'est très élégant comme vision des choses... d'aucuns parlent de gaspillage de scandale mais qu'importe à vrai dire.
Bel article camarade

Ecclésiaste Deudjui
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Merci mon poète Renaud. désolé pour le retard mais tu sais ce qu'on dit: "mieux vaut tard que jamais !"

Ani
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Et voilà une ressemblance de plus avec les bamilékés... À me demander sinon n'est pas venu du même endroit...

KOULOU EKANGA FELIX MARTIAL
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je viens de lire attentivement cette ode à la vie et à la mort et je ne peux que me glorifier de cette banalisation de la mort. j'avoue que je condamnais les orgies orchestrées lors des funérailles et des veillées mortuaires et que maintenant j'ai une toute autre vision.
Je ne regrette pas d'avoir consacré deux minutes de mon temps à la lecture de ces écrits

Ecclésiaste Deudjui
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Merci beaucoup frère. Moi aussi jetais dubitatif au début mais quand on se retrouve encerclé dans ces rites en plein minuit et en chansons, on commence à comprendre pourquoi les bamilékés adorent les funérailles